Emmanuelle Cabot
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  « Joue avec moi ! »

Nous entendons souvent dire qu’il vaut mieux ne pas se forcer à jouer avec son enfant lorsqu’on n’en a pas envie. Il est intéressant d’interroger ce refus. Souvent le jeu ne semble pas «productif», il est opposé à la notion de travail. Pourquoi l’adulte n’aime-t-il pas jouer ? Pourquoi est-ce si difficile de se laisser aller au jeu avec ses enfants ?  Qu’apporte le jeu avec leurs enfants pour les parents ? Nous allons tenter de répondre ici à ce qui se joue quand « il veut jouer ».


« Maman, tu joues avec moi ? », « Papa, s’il te plaaiît !!! ». Quand notre enfant répète une de ces questions inlassablement, avec insistance, le regard plein d’attente et la volonté de ne pas abandonner sa requête, nous, adultes pouvons nous sentir irrités, pris au piège entre le sentiment de culpabilité de ne pas faire plaisir à notre enfant et notre envie de faire « autre chose ». Parfois, nous pouvons nous sentir fatigués de notre journée avec la ferme intention de ne pas perdre notre temps. Ce que nous ne mesurons pas toujours, c’est précisément que se « joue » là, sous nos yeux, quelque chose de capital, quelque chose qui peut nous enrichir nous-même. Il ou elle veut jouer avec nous mais nous adultes, avons autre chose à faire. Parfois, nous pouvons nous donner bonne conscience en nous disant que si nous nous forçons, notre enfant le sentira et qu’il vaut mieux éviter cette situation pour le bien de tout le monde.

Le jeu vécu comme une contrainte par l’adulte

Jouer est perçu à ce moment par l’adulte comme une contrainte. C’est d’ailleurs fou quand on y pense non ? Dans une de ces vidéos diffusées sur Youtube « Faut-il se forcer à jouer avec son enfant ? », la psychothérapeute Isabelle Filliozat décrit assez bien ce qui se passe dans la tête de nombreux parents qui n’ont pas envie d’accéder à la demande de leurs petits garçons ou de leurs petites filles : « Parfois le jeu ne nous plaît pas, on n’a pas beaucoup joué avec nos propres parents durant l’enfance qui nous disaient peut-être de faire plutôt quelque chose d’ « utile ». Car le jeu est, il est vrai, souvent associé au fait de  « ne rien faire » . Et si l’on inversait cette perspective ? Jouer avec son enfant est essentiel pour que l’enfant construise une image positive de lui même. Le jeu nourrit des besoins fondamentaux. Quand nous faisons la grimace en prenant un air de dégoût en disant : « non, je n’ai pas envie de jouer à cela » l’enfant entend : « ce à quoi je m’intéresse n’est pas intéressant donc je ne suis pas intéressant » explique la psychothérapeute qui incite à jouer un maximum avec son enfant à ce qu’il nous propose afin qu’il perçoive le message « je t’aime assez pour jouer à quelque chose qui ne m’intéresse pas particulièrement ».  

Ne pas jouer A mais jouer AVEC

Mais comment faire sans que cela ne soit vécu par le parent comme un sacerdoce et que celui-ci y prenne plaisir ? Comment éviter que l’enfant sente que cela nous coûte un réel effort et soit capable de nous dire, par exemple, : « Laisse tomber maman… ». Isabelle Filliozat propose de regarder les choses différemment.  « Il ne s’agit pas de se dire : je joue à la bataille ou je joue à la poupée avec mon enfant mais je joue AVEC mon enfant et je regarde jouer mon enfant. » .

Les jeux les plus compliqués pour les parents sont parfois ceux qui nécessitent de l’imagination, les jeux de rôles par exemple. « Ce sont les jeux dans lesquels nos enfants nous confient leurs émotions. Les enfants ont besoin de jouer et rejouer les situations et si on est là , avec eux, cela leur permet de nous confier leur sentiment, c’est une très belle fenêtre sur leur cœur alors profitons-en », appuie l’auteur.

Se laisser guider par son enfant

Avant d’être une fenêtre sur le cœur c’est aussi une porte qui s’ouvre sur leur monde et cette envie de jouer avec nous est en réalité un magnifique compliment, une marque de confiance énorme qui traduit son besoin d’attachement. Le problème, c’est que ce sont précisément les jeux libres qui nécessitent le plus d’investissement de notre part, le plus de créativité, en bref, nous demandent le plus d’efforts. Mais qu’est-ce qu’un jeu libre ? Si l’on se réfère à la définition qu’en fait Peter Gray dans son ouvrage « Libre pour apprendre », le jeu libre n’est pas présidé par le hasard mais « structuré par les joueurs eux mêmes plutôt que par une autorité extérieure (…) où ce sont les joueurs qui décident de ce à quoi ils jouent et comment, et où, au cours de la partie, ils sont libres d’en modifier les règles et le but.(…) le jeu libre n’est rien d’autre que la façon dont les enfants apprennent à structurer leur propre comportement ». Le jeu libre induit de fait une plus grande flexibilité de la part de l’adulte et une plus grande disponibilité intellectuelle. Nous pouvons aussi parfois avoir peur de ne pas savoir jouer à ce type de jeu. Pourquoi ne pas se laisser guider par son enfant et lui demander « et là je fais quoi ? » ou encore « et là je dis quoi ? ». Nous pouvons ainsi humblement nous laisser guider en nous connectant avec notre enfant sans nous sentir dans l’obligation de choisir l’activité, d’en rappeler les règles, de diriger le jeu bref d’être dans un rapport de domination. C’est fatigant de devoir toujours tout maîtriser n’est-ce pas ? C’est agréable aussi pour le parent de ne pas être dans le contrôle absolu, de regarder son enfant se concentrer, chercher des solutions et, ainsi, apprendre à mieux le connaître, simplement, entre individus qui s’aiment. De cet échange aux forces équilibrées peut jaillir une réelle complicité. Et l’enfant surtout, peut vivre sereinement en tout liberté sa connexion avec son parent d’égal à égal, car il est intéressant de se rendre compte comme le rappelle Peter Gray que « même lorsqu’ils ne sont pas à l’école, les enfants passent de plus en plus de temps dans des cadres où les adultes les dirigent, les protègent, répondent à leurs besoins, les jugent, les critiquent, leur attribuent un classement, leur décernent des louanges et des récompenses », cette respiration qu’est le jeu libre dans la relation parent-enfant induit une horizontalité des rapports qui permet d’ôter les masques des rôles donnés officieusement par la société du « dominé » et du « dominant ».

Lâcher prise pour goûter à la joie

Au delà du sacrifice que le parent peut avoir l’impression de faire en abandonnant à regret son ordinateur, son livre, son smartphone, il peut se laisser gagner par  le plaisir qu’il aura ainsi à être avec son enfant. Au préalable, l’une des clés pour y accéder est le sourire. Il nous est possible de tromper notre cerveau qui rumine contre cette idée de jouer. En faisant l’effort de nous asseoir aux côtés de notre enfant en souriant , notre cerveau se dit « tiens je vis quelque chose d’agréable là ! Je souris donc je dois être heureux ». Ce que le parent peut avoir l’impression de donner sans retour peut finalement l’enrichir et le jeu peut démarrer dans une joie réciproque libérant des énergies positives notamment par le rire qui réduit tension, angoisse et colère… L’adulte peut jouer avec les intonations de sa voix, faire « l’idiot », mimer des personnages… Lâcher prise ouvre véritablement la voie vers le bonheur simple d’être présent, ici et maintenant, en vivant pleinement l’instant avec notre enfant.

Goûter à la joie de cette activité libératrice qu’est le jeu avec son enfant même lorsqu’au départ « on n’en a pas vraiment envie » c’est donner de l’amour, apprendre à mieux connaître son enfant, lui donner confiance en lui et en nous-même. Jouer avec son enfant, c’est remplir un réservoir affectif et se remplir aussi pour mieux avancer ensemble dans la vie.

Emmanuelle Jaquot-Cabot

Article paru dans le numéro n°65 du magazine Grandir Autrement http://www.grandirautrement.com/fr/magazines-magazine-numero-65.html

Pour aller plus loin :

Lawrence Cohen « Qui veut jouer avec moi » (présenté par Isabelle Filliozat)

Aletha Solter Développer le lien parent-enfant par le jeu

youtube : se forcer à jouer avec son enfant https://www.youtube.com/watch?v=cmZiMTlN4V0

Peter Gray « Libre pour apprendre »

 

J'accompagne les femmes pour qu'elles deviennent les mères dont leur enfant a besoin

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